Il est 6 h, le soleil se lève à peine sur Londres. C’est toujours comme ça à la fin d’un service. Enfin un service… C’est le nom de code pour fin du show, fini de jouer les barbies, les filles faciles, fini de jouer les femmes objets pour se nourrir, bonjour la liberté. Pseudo liberté, puisque je la perds systématiquement à la tombée de la nuit. Je ne suis sans doute pas faite pour les horaires conventionnels, je ne suis pas une fille bien, pas une fille comme on devrait les attendre. Je n’ai trouvé que ça pour me faire assez de fric pour subvenir à mes besoins toute seule. A savoir un loyer, de quoi me nourrir et mes doses de came. C’est triste à dire, mais on bosse pour se camer, et on se came pour aller bosser. C’est le quotidien de certaines, voir beaucoup de filles du milieu.
Beaucoup de clients, quelques habitués, des sourires charmeurs, une attitude sensuelle jusque dans le regard, tout ça n’est qu’un jeu. Aucun de mes clients ne me plaît ou ne m’attire d’une quelconque façon. Je ne vis pas de romance avec mes clients… Je ne suis même pas censée en avoir. Je ne suis pas censée dire non plus que je me tape certains consommateurs, je n’ai pas le droit, c’est dans le contrat, la boite préfère se servir dans mes pourboires quand je m’en tape un. Alors je le fais discrètement, ça passe toujours. S’ils sont contents ils reviennent, si le patron vient à être au courant, je change de boite, ce n’est pas plus compliqué que ça !
Il me faut un café, j’ai besoin de me détendre avant d’aller me coucher. Je prends une douche à la boite, avant de repartir pour la ville. Je me lave toujours les cheveux après un show, je sens la clope et la vielle picole, je déteste ça, mais l’odeur tend à s’imprégner sur moi.
Je pousse les portes d’un café de Fleet Street, j’aime bien cette ambiance cosy. Ce café me plaît et le petit cuistot aussi. Je connais un peu Zach, toutes les filles lui tournent autour quand elles viennent prendre un café ou manger un bout ici, je l’ai remarqué ^^
Cheveux mouillés, en arrière, maquillée comme pendant mon service, chemise à carreaux sur un top bleu marine, jean troué, Converses, bracelet en cuir, de nombreuses bagues, je m’installe au comptoir. Etant très tôt, Zach se charge aussi du service.

- On peut déjà avoir un café ?

Je crois que je suis sa première cliente de la journée, tu m’étonnes vu l’heure ! 6 h 15 ^^ Je suis matinale, ou plutôt diurne. Disons que je ne vis que la nuit. Je l’affuble d’un sourire charmeur et croise mes jambes en entamant un croissant dans la corbeille posée sur le bar.

Vu la dégaine que je me traine, on se doute bien que je ne sors pas d’un hôtel de luxe. Toujours est-il que ce café est sans doute un des rares endroits où je me sente encore bien. Pas spécialement jugée au premier regard, je me sens en confiance, et c’est rare chez moi, il faut le savoir. Toujours est-il que je fais comme je peux pour garder une certaine tenue. Encore que mon apparence soit le dernier de mes soucis en journée, elle l’est bien trop la nuit. Je n’aime pas ce que je suis, encore moins ce que je fais, mais ais-je le choix ? On n’a pas de quoi se payer sa dose en étant garagiste ou quoi que ce soit dans le commun des londoniens. Encore que je ne me came pas régulièrement, je ne suis pas accro, j’en prends juste pour me détendre, mais je peux m’en passer. Il le faudrait d’ailleurs… Il y a pleins de choses à changer dans ma vie, et ça commence par ça.
Je m’installe au comptoir, ce type est passionné par son métier et la culture française, il peut en parler durant des heures, sans se lasser, et je ne me lasse pas de l’écouter. Sans oublier qu’il n’est pas désagréable à regarder, bien au contraire… J’esquisse des coups d’œil discrets de temps en temps, enfin ça c’était avant. Avant que nous passions la nuit ensemble, je le trouve changé, je ne saurais dire pourquoi. Je fais ça tellement souvent… Toujours est-il qu’il y a une grande différence entre un homme que je prends comme client et un que je choisi, même s’il est d’un soir. Zach j’avais décidé de le choisir, il ne lui serait de toute façon jamais venu à l’esprit de venir me payer. Il est bien trop respectueux pour ça. Il a des valeurs, chose que je ne connais pas tellement ^^
J’avais pris pour habitude de venir prendre mon café ici tous les matins, très tôt, bien avant que tous les autres n’aient l’idée de faire pareil, souvent des étudiants d’ailleurs. C’est la fin de mon service, j’ai simplement pris une douche, sans prendre la peine de me démaquiller, je n’ai pas encore eu l’occasion de commencer ma nuit alors que d’autres la terminent. J’ai toujours tout fait à controverse, c’est sans doute plus fun comme ça. Encore que ma vie de débauche n’est pas fun tous les jours.

- C’est ça.

Je lui souris, échappant un léger rire cristallin. Il se souvient donc de ce que je prends les matins qui semblent plus difficile que les autres. Ça me fait sourire. J’apprécie ce genre de petites attentions, je n’ai pas spécialement l’habitude pour tout avouer.
Zach ne sait rien de ma vie nocturne, j’évite de le rameuter en fait ^^ Je n’expose pas ma condition sociale, encore moins mon métier. Je préfère garder ça pour moi, je n’en suis pas fière, c’est le début de la guérison paraît-il.

- Du Trycs. Je bosse là-bas en ce moment. Les nuits sont courtes.

Je le remercie pour l’expresso que je presse entre mes mains, pour me réchauffer. Pas qu’il fasse frais mais je viens de retirer ma veste en cuir, la température s’en est trouvée drôlement changée. Quand il m’a connu, je bossais au Dock, je change souvent, je vous ai expliqué pourquoi tout à l’heure. Quand le patron apprend que je me tape les clients, il me vire. Il n’y a plus qu’à prier pour qu’il ne fasse pas le rapprochement avec le fait que ce soit une boite de strip.

- Ça marche en ce moment ?

Désignant le bar. Les affaires, tout ça. Je suis assez admirative de la passion qu’il met dans tout ce qu’il entreprend.

Je n’ai pas l’habitude de me confier, pour ça il faut faire confiance, chose que je ne fais pas. Il faut bien avouer que dans le genre « je me cache dans un coin en faisant croire que tout va bien », j’atteins des sommets. J’ai toujours appris à différencier ma personnalité pour sortir du lot, mais surtout pour cacher la mienne. Je ne révèle rien de moi qui ne soit trop personnel. Ce serait comme se sentir mise à nue et je ne supporte pas le jugement, je ne connais que trop bien celui que j’inspire depuis toujours. Je me suis faite seule, et je pense que j’aurais pu mieux m’en sortir si j’avais fait les bons choix, chose qui ne semble pas être le cas…

- Des… des extras.

Arquant un demi-sourire en me réfugiant derrière ma tasse. J’admire son attention, il me pose le sucrier juste à côté, sachant pertinemment que je ne prends jamais moins d’un sucre et demi, il sait aussi que j’adore le spéculos que je trempe dans mon café jusqu’à la moitié, pour ensuite le finir d’un trait. Il connaît par cœur la façon que j’ai de prendre mon café, avec tous les clients qu’il a, je trouve ça remarquable. A moins qu’il ne veuille apprendre à me connaître moi, et non sa cliente.
Je fus sauvée par le gong si on pu dire, quand le second client entra. Je me sens un peu soft là, avec mon maquillage qui coule. Après s’être occupé de l’homme assis à la table près de la fenêtre, Zach revint vers moi, prenant place à mes côtés, j’aime cette proximité. J’ai fréquenté des hommes toute la nuit, mais la présence de celui-là me rassure.

- Pari réussi alors monsieur Hamilton. Je passerais un soir où je ne bosse pas.

Ça me ferait plaisir de le voir dans son élément. Je sais qu’avec passion, on peut tout faire, c’est sans doute ça qu’il me manque, ou le courage de me lancer, je ne sais pas trop. Je n’ai jamais eu trop confiance en moi et se lancer veut dire changer beaucoup de choses, alors il est évident que pour ça, le courage n’est pas exempt.

- Non ça va, je suis fatiguée c’est tout.

L’excuse de la fatigue est passe partout, c’est une évidence, en même temps ça fait partie des choses que je peux lui cacher, tout le monde y croit sans poser de questions, mais ma mine fait peur au plus courageux ! J’ai l’air de ce que je suis, d’une pute des bas quartiers qui n’a rien su faire de mieux.

- Distante ? Zach, depuis la nuit de la dernière fois t’es complètement différent. Alors je sais pas ce qui ne t’a pas plu, ou trop plu peut-être. Je ne sais pas ce que tu en attendais, mais pour moi ça n’a rien changé. On a passé un bon moment, mais on est adultes…

Je fais ça pour noyer le poisson, je n’en pense pas moins. Je me protège pour ne pas m’attacher, au fond je sais que j’y tiens plus que ce que je ne crois, et même beaucoup trop. Je me refuse à ce genre de sentiment, ça fait trop mal. S’il ne voulait plus que je vienne je comprendrais. Mais je suis trop difficile à cerner, il doit le sentir. Cette nuit n’était pas juste un coup comme ça, c’était une nuit tendre et même passionnée. Mais je ne peux pas lui en faire part, je ne suis pas une fille pour lui…

Il ne croit pas à ma version, je ne suis pas surprise, on le serait à moins. En même temps pourquoi croirait-il que je suis vraiment ce que je suis ? Je ne livre rien de moi-même. Je ne sais pas me confier, peut-être que c’est une façon de me protéger. Il est loin d’être bête et son niveau intellectuel n’est pas celui des clients de d’habitude ^^ Eux se foutent de ce que je suis vraiment, ils payent pour un service, le reste leur importe peu, je le conçois. Toujours est-il que je le vis toujours d’une façon différente.
Zach n’était pas un plan d’un soir ordinaire, c’était un ami et non un inconnu, voilà qui change grandement la donne. Pour une fois je ne suis plus la petite strip-teaseuse du Trycks ou de quelque bar que ce soit, mais j’étais quelqu’un. Une personne et non un rôle. Il est un des rares avec qui je prends le risque depuis cette histoire avec l’autre type. Je n’aime pas me rappeler son nom. Peut-être que les sentiments meurent un jour avec le temps et l’oubli. Pour ça il faudrait que je parvienne à me vider la tête, chose que j’essaie de faire avec tout ce que je prends, encore une raison pour laquelle je ne me pense pas être en mesure de correspondre à un mec comme Zach.

- Je te tiens au courant, sans faute.

Attrapant un autre croissant. Ce type a des fournisseurs en or, il faut qu’il le sache ! J’adore venir prendre mon petit déj ici. D’abord la clientèle se faire rare à cette heure-là, et le patron est toujours de bonne humeur. J’admire la façon qu’il a de tenir le coup, parce que tenir un resto, avec sa meilleure amie qui plus est, n’est pas donné à tout le monde, je vous le dis ! Patience, organisation… J’ai tenu un bar aussi durant quelques temps.
Il fait le tour du comptoir pour se servir lui-même un café et m’épie. Tout du moins ça y ressemble. Je le regarde en coin, avant de noyer mon regard dans ma tasse.

- Ecoute Zach, je ne suis pas le genre de fille qui pourrait te convenir. Je suis… je bosse de nuit, toi tu passes ta vie ici. T’as des projets, moi j’en n’ai aucun. J’ai une vie tout ce qu’il y a de plus instable et toi tu… tu construis tout ça.

Je désigne le restaurant. Ça me paraît incroyable de pouvoir bâtir ça tout seul, malgré les heures de boulot, il faut aussi une foi à toute épreuve, un courage et une force de caractère sans failles. Et je suis un peu le contraire de tout ça.

- Mais j’ai passé une super soirée.

Posant ma main sur son bras en lui adressant un sourire et un regard par en dessous. Je ne me sens pas le droit de lui en demander plus. Il aspire sans doute à mieux, et il ne connaît pas la moitié de ma vie. Mes extras comme je dis si bien, il s’il savait, il partirait en courant !